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“À chaque fois, que l’on perd un journaliste, on perd un morceau de démocratie.”

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Martin Boudot, né en 1985, travaille pour l'agence Première Ligne Télévision, plusieurs fois arrêté, récompensé, il fut notamment, malgré lui, un témoin privilégié de l’attentat de Charlie Hebdo.

 

Propos recueilli en Mai 2017.

Martin Boudot Journaliste à l’agence Première ligne répond à mes questions.

 

Vous travaillez pour l'agence Première ligne, justement vous l'avez été en première ligne le 7 janvier 2015 lors de l'attentat de Charlie Hebdo. Comment l'avez vous vécu ?

  • “Je ne vais pas en parler, je me suis déjà assez exprimé là-dessus. J'ai été témoin de quelque chose et ce n'est pas mon rôle de journaliste. Pas d'offense”

Vidéo enregistrée par Martin Boudot le 7 Janvier 2015


Dans sa jeunesse, Élise Lucet était inspirée par Christine Ockrent et vous quel journaliste vous inspirait étant jeune ?

  • “Il y a mon patron actuel Paul Moreira qui m’a inspiré, Luc Hermann aussi, Jean-Pierre Canet, Élise Lucet. Des journalistes anglais aussi, Andrew Jennings sur la Fifa. Michael Moore d’une certaine façon, sur le documentaire très militant, très coup de poing. Plein de réalisateur américain unitaire. Mais, en France, c’est plutôt ces trois là : Paul, Élise et Jean-Pierre, qui ont été pour moi des mentors sur le travail d’investigations.”


 

 

Après vos études à Tours, comment êtes, vous arrivez à Cash ?

  • “ J’ai fini mon école de journalisme (IUT de Tours NDLR) aux USA, et pendant ma deuxième et ma troisième année avant de partir aux états unis, j’avais fais un stage dans une boite de production de reportage et de magazine à Paris. Et j’ai rencontré mon rédac chef de l’époque qui s’appelle Luc Hermann, et pendant que j'étais aux USA, il m’a annoncé qu’il créé une boite d’investigation avec Paul Moreira que je connaissais par ailleurs. Il m’a proposé de venir en stage, et ça a commencé comme ça. On était 3 ou 4, et puis on a commencé à faire de l’Envoyé spécial, après des Pièces à Conviction, ça a vraiment pris son envol quand Élise et Laurent Richard sont arrivés, et que l’on a pu commencer Cash Investigation.
    C’est comme ça, j’ai été stagiaire, puis enquêteur, puis co-réalisateur puis réalisateur de magazine 26 minutes puis 52, puis 90 minutes et finalement Cash.”

 

Comment se prépare un reportage de Cash investigation ?

  • “Cash, c'est un an d'enquête. Ça se prépare de la manière suivante, on réfléchit ensemble, souvent en conférence de rédaction, on réfléchit à des systèmes qui n'ont pas encore été investigué, où il y a encore des choses à révéler et on commence à enquêter dessus. Souvent, on trouve des choses, on confirme l'investigation et on y va. Et ça dure un an derrière”




 

Que pensez-vous de la course à l’audience ?

  • Ca me parait important que l’on puisse parler au plus grand nombre et que l’audience soit un indicateur de succès d'une émission. Je sais que si Cash a les coudées aussi franche, c’est que l’on a une vraie liberté éditoriale de la part de Francetv, c’est notamment que notre audience est plutôt bonne et que ça fonctionne bien. Je pense par ailleurs que ça ne doit pas être le seul indicateur. Ca doit être l’UN des indicateurs, il y a aussi le fait d’avoir fait bouger les lignes sur un sujet, si ça a été un sujet mobilisateur, qui a permis de changer les choses auprès du citoyen. Ça, c’est un autre indicateur.
    Est-ce que ça a été un sujet jamais fait ? Un sujet qui a été copié ? Après un sujet qui a reçu des prix à l'international ? Un sujet diffusé ailleurs, qui a fait réagir le public ? Donc l’audience, c’est un indicateur. C’est pour ça que nous demandons un retour du service marketing de France Télévision, qui demande aux téléspectateurs s’ils ont bien aimé le sujet, de savoir s’ils ont appris des choses. Et on a un retour de qualité sur nos sujets et c’est vraiment excellent et c’est hyper important ça aussi.
    Donc l’audience, c’est vraiment qu’un indicateur et il faut que ca en soit un parmi les autres sinon on bascule vers une logique de chaîne privé et à ce moment-là, on fait un peu moins d’investigation. Donc l’audience, c’est vraiment qu’un indicateur et il faut que ca en soit un parmi les autres sinon on bascule vers une logique de chaîne privé et à ce moment-là, on fait un peu moins d’investigation.”


 

“Élise Lucet de plus en plus, est amenée à faire des interviews posées. Il y a de moins en moins de séquences Happening, parce que les communicants ont compris qu’il fallait nous répondre.”

 

Cash ne laisse personne indifférent, certain adore, d’autres critique l’émission notamment sur le ton et sur l’attitude d’Élise Lucet, qu’en pensez vous ?

  • “C’est normal. Le jour où on laissera tout le monde indifférent, ça n’aura plus d'intérêt... 
    À partir du moment ou vous faites des sujet sur des systèmes, sur des domaines un peu sensible, forcément vous attirez les critiques.
    Sur le ton, nous, on l’assume. On est assez pour des moments de légèreté, d’humour, de pédagogie ou même de coulisse, à l’intérieur d’investigation assez dur, c’est justement aussi pour renouveler un peu le genre et expliquer les choses sérieusement sans se prendre au sérieux, c’est la première chose. Donc nous, on l’assume vous aimez, vous n'aimez pas, mais en tout cas ça permet de renouveler le genre.
    Sur le ton d’Élise, Élise Lucet de plus en plus, est amenée à faire des interviews posées. Il y a de moins en moins de séquences Happening, parce que les communicants ont compris qu’il fallait nous répondre. Et donc de plus en plus on a des interviews posé avec un ton beaucoup moins vindicateur, parce que l’on est posé, que le rendez-vous est pris et que l’on posent nos questions, on a beaucoup plus d'éléments sur le fond, c’est beaucoup plus intéressant et on comprend beaucoup mieux ce qui se passe. Nous ça nous permet de gagner beaucoup d'énergie parce que ce n’est pas de gaîté de coeur que l’on fait ça. Donc le ton d’Élise, je crois qu’il est juste et pugnace, elle est journaliste, elle ne lâche pas l’affaire et c’est comme ça que devrait être la plupart des journalistes à mes yeux.”

 

Avez-vous déjà eu peur lors d’un de vos reportages ?

  • “Plusieurs fois, on s’est fait arrêter, donc ça, c’est des choses assez fréquente et c’est des choses que l’on gère.
    Le moment un peu critique, c’est quand on était allé en RDC avec mon cameraman Pedro Brito Da Fonseca, et que l’on a du visiter les mines artisanales de Coltan, et que malheureusement quand on y est allé une partie du plafond s'est effondrée, et on a dû sortir un peu en urgence sans trop comprendre ce qui se passait. Mais ce n'était pas vraiment de la peur, parce que je me suis rendu compte, qu'après au montage que c’était vraiment critique parce que je ne comprenais pas le swahili sur le coup, je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait.
    Tout ce que l’on fait est vraiment très cadré, normalement, on essaye de garder notre sang-froid, on n'est pas des têtes brûlées, on essaye de travailler dans de bonnes conditions.”


 

Justement, vous avez reçu le Prix de l'investigation au festival européen DIG Awards 2015 pour ce reportage “Les secrets inavouables de nos téléphones portables”. Qu'est-ce que ça fait de recevoir un prix pour son œuvre ?

 

  • “De recevoir un prix, c'est vraiment très appréciable, c’est la récompense d’un travail d’équipe, celui-ci est vraiment très particulier, car c’est le prix du documentaire d’investigation européen, donc j'étais en concurrence avec des Anglais et des Irlandais. C’est super pour l’émission, c’est vachement bien pour l’émission parce que ça montre aussi à la chaîne que nos enquêtes ont un écho au-delà de la France et ça montre qu’en France, on a su renouveler le genre de l’investigation et qu’on n'a pas vraiment à rougir des enquêtes faites ailleurs. C’était un moment très très fort et la récompense d’un vrai gros travail d’équipe avec le co-réalisateur là-bas.
    Après, je préfère largement, pour vous dire, que les lois change après nos sujets, quand les citoyens se mobilisent suite aux pesticides, quand une marque décide de ne plus travailler avec une usine qui fait travailler des enfants, quand un prêtre est mis en examen suite à notre reportage sur les prêtres pédophiles. Donc c’est ça aussi qui reste sous le radar qui pour moi a vraiment du sens, c’est que l’on fait bouger les lignes.”

     

“Beaucoup de spectateurs nous disaient “c’est super vos enquêtes, mais ça change quoi ? Qu'est-ce que ça a changé ? Quelles ont été les conséquences ?” “
 

En parlant de faire bouger les lignes, vous avez lancé “Cash Impact” Pourquoi ?

  • " Beaucoup de spectateurs nous disaient “c’est super vos enquêtes, mais ça change quoi ? Qu'est-ce que ça a changé ? Quelles ont été les conséquences ?”. Et on n'avait pas vraiment de réponse, évidemment nous, on a tous les éléments, on sait ce qui a changé, nous journalistes, nous réalisateurs, mais c’est vrai que l’on ne communiquent pas dessus. Et c’est vrai que l’on enquêtait pas beaucoup plus 2 ou 3 ans après. Et donc on s'est dit voilà, là, on va commencer à répondre à cette interrogation et se dire qu'est ce qui a changé depuis 2 ans 3 ans. Est-ce que notre enquête a servi à quelque chose ? Est-ce que notre enquête n’a servi à rien. Est-ce que les promesses ont été tenues et donc c’est juste un droit de suite, vraiment réel, très enquêté aussi, parce qu'on ne se contente pas. Voilà ce qu’ils ont dit, voilà ce qui se passe aujourd’hui. Non, souvent y a de nouveaux acteurs, y a de nouvelles choses qui sont sorties, et c’est ce vers quoi l’on va. Simplement pour répondre à cette demande du téléspectateur, trés trés trés forte et c’était important de le faire, et c’est super que France 2 nous ait donné l’opportunité de le faire.”




Cash Investigation, c’est un ton, mais aussi une voix. Qui est la Voix de cash ?

  • “C’est la voix de Jean Pierre Canet, l’ancien rédacteur en chef de Cash et qui est désormais le rédacteur en chef d’Envoyé Spécial et de Complément d'Enquêtes.”


 

“Ne pas courir après le buzz, essayez d’avoir un regard différent et d'enquêter toujours un peu plus sur notre monde.”



Comment on vit la détestation du métier de journalisme ?

  • “Ce n'est pas évident de prendre toutes les critiques, moi, je trouve que journalistes d’investigation, même si nous on ne se considère pas comme tel, que notre profession est un tout petit peu à part, on a plutôt un bon regard sur nous, nous sommes un peu devenue les grands reporters des années 90, les journalistes un peu incorruptibles. Ce qui est une bonne chose donc moi, je suis un petit peu préservé de ces critiques là, même si on est au-devant de pas mal de critiques. Après, dans la profession journalistique, dans son ensemble notamment en France, effectivement, on a très mauvaise presse, c'est le cas de la dire, du coup, il faut aussi que l'on travaille dessus, sur l’autocritique.
    Moi, je fais beaucoup d’intervention dans les collèges et les lycées pour travailler sur la théorie du complot, sur les médias, sur la concentration des médias sur la censure. Donc il faut aussi que l’on parle aux plus jeune, et par ailleurs, il faut aussi que nous journalistes, on s’impose de la transparence, toujours un peu plus, on ne peut pas se permettre de demander de la transparence politique, de la transparence d'entreprise, si nous-même journaliste, on ne s’en impose pas, notamment sur les conflits d'intérêt que certain peuvent avoir avec des entreprises ou des lobby.
    Et puis voilà maintenant y a deux chemins qui se forment. L’un, c’est le journalisme qui fonctionne, Médiapart, 21, des longs Formats, Cash Investigation, que l’on n'aurait pas imaginé, il y a 5-6 ans parce que ça faisait trop gros, trop grand donc il y a un journalisme “premium” qui se détache.
    Et puis, il y a le news toujours, mais je crois de plus en plus, les gens veulent avoir un nouvel éclairage. Le Monde fait de plus en plus de long read, le Monde a encore augmenté sa case investigation. Donc le journalisme d’investigation a encore de beaux jours devant lui… Sauf s’il y a des censures, s’il y a trop de pression. Et c’est aussi pour cela que l’on se bat au sein “d’informer n’est pas un délit” et de différentes ONG, pour que le secret des affaires ne nous empêche pas d'enquêter. Pour que les journalistes soient protégés, pour que les sources aient un vrai statut de lanceur d’alerte et puissent être protégées, puisqu’elle est importante.
    Quant aux journalistes qui se font assassiner dans le monde, à chaque fois que l’on perd un journaliste, on perd un morceau de démocratie, ils sont très décriés en France, on a vu le discours pendant la présidentielle. C’est dangereux, très dangereux ce jeu que certain politiciens font, c’est très dangereux et j'espère que l’on va regagner une partie de la confiance, parce que c’est très important, mais ce n’est pas que du discours.
    Après les journalistes qui se font tuer, c'est autres choses et c’est un drame absolu, le Mexique, c’est le deuxième pays le plus meurtrier pour les journalistes dans le monde.

    Voilà, c’est un drame absolu à chaque fois, mais ce ne sont pas les mêmes questions qu’en France. Nous, on ne meurt pas d'être journaliste en France, en revanche, on peut être censuré, en revanche, on peut être sous pression, en revanche on peut-être de plus en plus précarisé. Et ils faut que l’on arrive à garder des conditions de travail qui soit bonne et surtout que l’on regagne la confiance des plus jeunes, des téléspectateurs, des lecteurs avec toujours plus d’éclairage et d’investigation en tout cas de chose qui ne sont pas des reprises de Twitter, des reprises de dépêche un peu modifiées. Ne pas courir après le buzz, essayez d’avoir un regard différent et d'enquêter toujours un peu plus sur notre monde.”


    “Nous ne sommes pas dans la logique de WikiLeaks, nous ne sommes pas un hub d'information qui prend des informations pour les mettre en ligne sans les vérifier”

 

Pourquoi ne pas publier des documents auxquels vous avez accès pour Cash Investigation, tel que les swissleaks par exemple, par soucis de transparence.

  • “Ça a été une vraie question. On se l'est posé, “pourquoi on ne publierait pas tout ?” En fait, il y a des références qui sont très personnelles, des adresses, des cartes d'identité, des passeports, des noms de femme, des noms d'enfant, des numéros de compte, donc des documents très personnels et qui n'apporterait pas grand chose au public hormis avoir des informations sur la vie privée des personnes.
    Et c'est pour ça que l'on a décidé de n'en publier qu'une partie, les Panama Papers, il y en a eu une partie de publié via l'ICIJ (Le Consortium international des journalistes d'investigation NDLR). Il y a aujourd'hui, pas mal de documents qui sont en ligne, mais nous ne sommes pas dans la logique de WikiLeaks, nous ne sommes pas un hub d'information qui prend des informations pour les mettre en ligne sans les vérifier, nous, on fait le travail de journaliste à plusieurs, pour les Panama Papers on est plus de 300, et on fait notre travail. Derrière, on publie des documents qui ont du sens journalistique et pas des documents sur la vie privée de tout le monde, qui nous ne paraisse pas légitimes.”

 

Merci Martin Boudot d’avoir accepté de répondre à mes questions.

  • “Je vous en pris”

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